Dans la série dépoussiérons-nous les idées, la dernière découverte en date concerne une affaire de la plus haute importance : le langage !
Vous vous en êtes éventuellement rendu compte, le langage reste l’apanage des humains. En excluant les théories créationnistes et autres obscurantismes religieux, une explication servie depuis plus de 40 ans se fonde sur la position du larynx. Chez les humains, le larynx se trouve en effet plus bas dans la gorge que chez les autres mammifères. Cette anatomie toute particulière autoriserait une grande diversité de sons, en l’occurrence l’expression des voyelles [ɨ æ ɑ ɔ u], clé de voûte du langage. L’équipement adéquat, quelques capacités cérébrales et beaucoup d’obligations sociales, et hop, l’humanité se met à parler. Sauf qu’elle n’a personne avec qui discuter. La parole serait un don, de surcroît « anatomique », bref, inaliénable. Aucun autre être vivant n’y arrivera, ni même le brillant chimpanzé au larynx bien trop haut. Quelle solitude…
Débattue, nuancée, affinée, cette thèse sur la position du larynx n’a jamais vraiment été remise en question. Elle a d’abord permis de dater l’apparition du langage à 100 000 ans, puis, après quelques menues révisions, d’estimer l’existence d’un proto-langage sous le règne de l’homo erectus, il y a 400 000 ans. Et bien voilà, la condition sine qua non à la possibilité du langage n’en est plus une. Elle vient d’être écartée par le doux ramage du babouin !
Sur la planète des singes
Les chants et cris rocambolesques du babouin avaient autre chose à dire. Une équipe de chercheurs franco-américains a minutieusement écouté les singes, passé à la moulinette acoustique leurs vocalisations et étudié les muscles de leurs langues. Publiés cette semaine, les résultats montrent que les babouins ont la capacité de produire au moins cinq vocalisations comparables à nos voyelles orales, toutes impliquant des mouvements caractéristiques de la langue dans le tractus vocal. Un très bon score pour le singe si l’on considère que le langage humain mobilise entre 3 et 24 sons « voyelle », par exemple 4 si vous parlez le russe et 17 le français. Par ailleurs, les babouins sont capables de combiner ces différents sons lorsqu’ils communiquent avec leurs partenaires.
Planète des singes oblige ! « Vieil orang-outan qui dicte des notes à sa secrétaire, chimpanzé femelle qui sourit d’un air complaisant, gorilles ricanants »… Rappelez-vous la version originale de 1963, subtile critique des théories qui font de l’homme l’aboutissement de l’évolution.
Bien entendu, ces récents travaux scientifiques ne nous disent pas que les singes peuvent parler. Il manque encore deux ou trois petites choses, comme la pensée symbolique, la conceptualisation ou encore un certain goût pour la politique. Par contre, ces résultats montrent bien que le langage n’est pas un événement récent, ou un truc qui s’est coincé dans la gorge à peine l’homme s’est-il redressé. Le langage a évolué à partir de capacités articulatoires que possédaient les ancêtres communs aux singes et à l’homme, il y a 25 millions d’années. A partir de là, tout était possible.
et là, il dit quoi le babouin ??
(Ecoutez, le « wahoo » comporte deux sons comparables aux voyelles /æ/ et /u/)
[E.Le]
Source: Evidence of a Vocalic Proto-System in the Baboon (Papio papio) Suggests Pre-Hominin Speech Precursors. PLOS ONE, 11 janvier 2017
Illustration: Wahoo Baboon, collage Micrologie, 2017, inspiré de « Brel, Ferré, Brassens, la rencontre mythique », 1969, photo de Jean-Pierre Leloir.
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