Imaginez : Plan aérien, canopée à perte de vue, un océan de vert ondule sous la chaleur des tropiques. Zoom avant, la caméra pénètre au cœur de la forêt, s’emmêle dans les lianes et la végétation luxuriante. Puis arrive la voix off, langoureuse, basse fréquence, estampillée National Geographic : « L’Amazonie, immense étendue vierge, forêt primaire » STOP ! On arrête là. Votre romantisme rousseauiste va en prendre un coup mais l’Amazonie n’est pas si « primaire » que ça… Une équipe d’archéologues brésiliens vient de découvrir de gigantesques structures géométriques, appelées géoglyphes, couvrant près de 13 000 km2 en pleine forêt. D’après les chercheurs, ces constructions auraient, pour certaines, plus de 3 000 ans.
Jusqu’alors les traces d’occupations humaines anciennes n’avaient été trouvées que le long des grands fleuves, dans la plaine des Mojos en Bolivie, le nord-est du Brésil ou encore en Guyane. Cette récente découverte dans l’Etat de Acre au Brésil, bien loin des eaux, a donc de quoi relancer le débat sur l’histoire de l’Amazonie et sa fantasmatique virginité.
La forêt cultivée
Mis à jour par les récents déboisements, près de 450 géoglyphes, de 100 à 300 mètres de diamètre, ont été repérés grâce à des survols de drones. Aucun doute, des sociétés avaient investi l’espace amazonien bien avant l’arrivée des conquistadors et celle des jésuites en mission divine pour donner des cours de solfège ! On sait encore peu de choses sur ces anciennes civilisations de l’Amazonie. Pour mieux les comprendre et savoir comment elles modifiaient leur environnement, les scientifiques ont reconstitué le paysage de l’époque à partir de microfossiles végétaux et de charbons contenus dans le sol. Les résultats sont pour le moins surprenants. Prenez-en de la graine ! Les constructeurs de géoglyphes n’ont pas défriché et dévasté leur habitat comme nous autres termites. Au contraire, ils cultivaient la forêt ! En sélectionnant les arbres utiles, pratiquant de petites coupes par-ci par-là, ces civilisations millénaires faisaient de l’agroforesterie bien avant les manuels modernes de permaculture. L’art et la manière, une gestion non destructive qui autorise la régénération de la forêt, il y a de quoi en tirer quelques leçons…
Comme disait mon prof de géo à la fac (attention c’était un drôle), « il n’y a pas un endroit sur Terre où la main de l’homme n’a posé le pied ». Evidemment, quand on chausse du 45 et qu’on conduit un bulldozer, ça laisse plus de traces et ça fait de gros gros dégâts.
[E.Le]
Source : Impact of pre-Columbian “geoglyph” builders on Amazonian forests. PNAS, février 2017
doi: 10.1073/pnas.1614359114
Illustration : Amazonie, collage Micrologie, 2017, inspiré d’un motif de tissu péruvien datant du 3ième siècle avant JC.
En complément : Les géoglyphes trouvés à Acre remontent à des sociétés dites « précolombiennes », datant de 650 à 3 500 ans. Pour avoir une idée ce que pouvait être l’Amérique avant que des boîtes de conserve à cheval ne se lancent à sa conquête, je vous invite à voir ou à revoir la prouesse de costumes et de décors qu’est le film Apocalypto.
Hier dans Science, un nouvel article sur le sujet ! Les travaux montrent que la forêt amazonienne telle que nous la connaissons aujourd’hui est le produit d’une longue histoire de domestication des plantes par les peuples amazoniens… Je vous l’avais bien dit, c’est vachement important !!!
Persistent effects of pre-Columbian plant domestication on Amazonian forest composition
http://science.sciencemag.org/content/355/6328/925