L’énigme du ver à deux têtes

Quand la bioélectricité « reprogramme » un organisme

La jambe de Rimbaud, l’oreille de Van Gogh, la main de Cendrars… Alors, les gars ? ça repousse ?

A coup sûr, vous connaissez la planaire, ce ver plat, plathelminthe turbellarié particulièrement vilain qui fascine les scientifiques depuis le XVIIIème siècle. Sa renommée n’est pas surfaite : si on coupe un morceau de l’animal, la partie manquante se recrée dans son intégralité. Le ver régénère ! Et ce truc-là, mes amis, c’est le Graal !

En trois siècles de quête, quelques pointures de la science s’y sont cassées les dents, mais ça avance, ça avance… Les derniers travaux en date, publiés dans Biophysical Journal, ont fait un pas supplémentaire. Des chercheurs ont montré qu’au delà d’un déterminisme tout génétique, un mécanisme de contrôle très surprenant était à l’œuvre : la bioélectricité ! Les réseaux électriques internes gardent en mémoire le code de régénération.

Toute une histoire

Avant d’accoupler des drosophiles, Thomas Hunt Morgan (1), le père de la génétique en personne, découpait des planaires. Un truc le titillait : la polarité. Comment un pauvre bout de ver « sait » quand il doit récréait une queue ou une tête ? A force de découper des morceaux, Morgan a fait pousser une planaire à deux têtes, une de chaque coté. C’était en 1903.

Depuis, je n’ose imaginer le nombre de vers qui se sont faits hacher menu… sans compter tous ceux qu’on a électrocutés. Dès les années 1950, des chercheurs ont montré que balancer un petit coup d’électricité régénérait une tête à la place de la queue, confirmant les intuitions de Morgan sur les différences de potentiel dans le corps du ver. Pfiou ! Inculte que je suis, je viens enfin de comprendre d’où sortent les arcs électriques autour du ver géant de Dune ! Mais, là, nous ne sommes pas dans la science-fiction et Morgan avait vu juste, il y a bien une histoire d’électricité là dessous.

Du courant oui, mais du bio !

Et woui, toutes les cellules d’un organisme « communiquent » entre elles via des signaux bioélectriques. Ces signaux circulent, régulent la croissance et la différenciation. Sur des réseaux longue-distance, la bioélectricité coordonne toute l’activité cellulaire et permet la formation d’organes entiers. Ça évite le bordel.

Des chercheurs ont donc bidouillé les circuits internes des planaires. Ils ont bloqué les connections puis ont découpé les vers. Avec ça, ils ont obtenu 25 % de bêbêtes à deux têtes, les autres morceaux régénérant normalement. Puis, surprise. Quand ils ont redécoupé les animaux nouvellement constitués : même proportion, encore 25 % à deux têtes. C’est juste hallucinant ! Le « code » de régénération à deux têtes est resté en mémoire, stocké dans le réseau bioélectrique.

Vous trouvez ça complètement perché ? Soyons clairs : ces travaux démontrent que les propriétés bioélectriques peuvent modifier, et de façon permanente, la forme du corps normalement codée par le génome.

C’est pas de la science de tocards ! Si la bioélectricité peut reprogrammer les structures anatomiques, ça promet des recherches croustillantes en médecine régénérative. Alors que tout le monde nous bassine avec l’édition de gène, l’électroceutique est la prochaine révolution !

 


Source : 

Long-Term, Stochastic Editing of Regenerative Anatomy via Targeting Endogenous Bioelectric Gradients, Biophysical Journal, mai 2017

Ces travaux intéressent aussi les domaines émergents de la Soft robotics (auto-réparation, auto-réplication, etc.) : Bioelectrical Mechanisms for Programming Growth and Form: Taming Physiological Networks for Soft Body Robotics, Soft Robotics. Sept. 2014

(1) Prix Nobel de médecine en 1933 pour avoir élucider le rôle des chromosomes dans l’hérédité


Illustration :

Shai-Hulud planaire, bricolage Micrologie, 2017, inspiré par Dune de David Lynch (d’après Franck Herbert), 1984

 


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