Esprit d’équipe chez les papillons

De l’efficacité des motifs anti-prédateurs chez les papillons amazoniens

Pour échapper à un prédateur, de deux choses l’une, soit vous courez très vite, soit vous usez d’une stratégie plus subtile. Vous devenez invisible en imitant une brindille ou, autre possibilité, vous êtes toxique et vous faites bien comprendre à tout le monde que vous n’êtes pas bon à manger.
Beaucoup de papillons amazoniens sont de véritables pancartes ambulantes, portant des couleurs et un motif « attention » qui rebutent les oiseaux. Tant qu’à être efficaces, plusieurs espèces toxiques utilisent le même signal d’avertissement. Elles sont presque jumelles et forment comme une alliance anti-prédateurs par voie de mimétisme.

Le nombre faisant la force, on s’attend à ce qu’un max de papillons portent les mêmes couleurs. Et bien non ! En Amazonie, ça joue en local, voire en micro-local ! Entre la canopée et le sous-bois, on trouve différentes équipes, chacune avec son propre maillot. D’après une récente étude, le maintien de cette diversité des groupes mimétiques dépend des oiseaux qui trainent dans le coin.

La couleur à la mode

Au départ, un prédateur est naïf. Un jeune piaf mange n’importe quoi. Rouge, jaune, rayé ou à pois, il n’y comprend goutte. Il bouffe tout, finit par tomber sur un os et apprend qu’il vaut mieux éviter certaines couleurs et certains motifs. On ne l’y reprendra plus !

Pour les papillons, la stratégie est donc gagnante si beaucoup d’oiseaux font cette malencontreuse expérience et enregistrent l’avertissement. Plus de papillons portent le motif, plus la probabilité de rencontre avec un oiseau est forte, plus la stratégie est efficace, et ainsi de suite…

Du coup, plusieurs espèces de lépidoptères au goût dégueulasse portent les mêmes dessins et les mêmes couleurs, assurant, par le nombre, la réussite du plan de sauvegarde. Cette ressemblance, qu’on appelle mimétisme de Müller (du nom du chercheur qui énonça la théorie), est une évolution par convergence. Un truc vraiment étonnant ! Des espèces, non apparentées, qui n’ont vraiment rien à voir les unes avec les autres d’un point de vue phylogénétique, ont la même tronche ! Elles ont évolué vers une forme similaire, « les mêmes causes produisant les mêmes effets », répondant aux pressions de sélection, en l’occurrence la prédation.

Mimétisme de Müller, papillon
Exemple de mimétisme de Müller chez six espèces de papillons appartenant à trois familles différentes. A gauche, Hypothyris mansuetus meterus, Hyposcada anchiala mendax, Chetone histrio hydra; à droite, Mechanitis mazaeus deceptus, Heliconius numata f. bicoloratus, Melinaea marsaeus mottons. Source de l’image : CNRS, Saga Science, Photo Mathieu Joron

Manger local !

Il y a donc de quoi s’étonner lors d’une balade en Amazonie. Sur à peine 1 km2 de forêt, on peut tomber sur plus de dix motifs différents chez les papillons toxiques.

Dans une étude menée en Equateur, des chercheurs ont fait les comptes. Sur leurs sites d’échantillonnage, ils ont dénombré 64 espèces de papillons réparties en huit groupes mimétiques. Qui plus est, les groupes se distribuent dans les différents quartiers de la forêt ! Les membres de la ligue « orange à tâches noires » sont plus abondants dans la canopée, à plus de deux mètres de hauteur, l’équipe « vert et brun » se rencontre plutôt en bas et de préférence en fond de vallée.

Intrigués, les chercheurs se sont intéressés aux pires ennemis des papillons, les oiseaux insectivores, et ont suivi 127 espèces. Là aussi, les prédateurs ne vivent pas n’importe où et ont leurs petites préférences. Certains chassent plutôt dans la canopée et n’ont donc pas la même expérience en termes gastronomiques. Ils ont tout simplement appris à éviter les papillons toxiques qu’ils rencontrent le plus souvent.
Une forme de sélection est à l’oeuvre : puisque les oiseaux des étages supérieurs sont bien informés et n’aiment pas la couleur orange, un papillon qui batifole en haut des arbres a plus de chance de s’en tirer s’il est orange ! Pour ceux qui vivent en bas, il vaut mieux être vert…
Aucun hasard ici. D’après Marianne Elias, co-auteur de l’étude, « la ségrégation des prédateurs en microhabitats permet de maintenir une diversité mimétique » (communiqué CNRS). Décidément, les interactions entre espèces n’ont pas fini de nous surprendre…

Enfin… moralité : si vous voulez survivre, suivez la mode de votre quartier !

 


Source : 

Maintaining mimicry diversity: optimal warning colour patterns differ among microhabitats in Amazonian clearwing butterflies, Proceedings of the Royal Society B, 24 mai 2017.

En complément : le communiqué du CNRS, en direct des laboratoires

Mimicry in Heliconius and Ithomiini butterflies: The profound consequences of an adaptation, BIO Web of Conferences, 2015

 


Illustration :

Papillon toxique, bricolage Micrologie 2017, inspiré de Douanier Rousseau, 1908, avec papillon Mechanitis polymnia


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